Alpha Diallo est un jeune Expert en Analyse du cycle de vie. Ingénieur cadre en analyse environnementale au centre de recherche et d’études de l’industrie du béton (CERIB). Sa mission est d’accompagner les industriels dans l’évaluation de la performance environnementale de leur ouvrage (bâtiment et génie civil), dans l’éco-conception, pour concevoir des bâtiments sobres en énergie et en carbone conforme à la nouvelle réglementation environnementale de la construction (RE2020).
Il est également associé chez The Time For the Planet, une Start-Up qui travaille dans des projets innovants de captation du CO2. Mais aussi consultant en développement durable pour des projets d’Économie Circulaire et projets RSE. Ancien lauréat de l’Institut de l’Engagement et jeune actif pour le Climat à travers la Fondation Nicolas Hulot. Avec lui, nous avons abordé plusieurs questions relatives à la problématique des changements climatiques.
La problématique du changement climatique est décrite comme un phénomène global, dites-nous comment se présente-elle aujourd’hui ?
C’est un phénomène global parce que les gaz à effet de serre à l’origine du changement climatique ne respectent pas les frontières géographiques de leur zone d’émission. Peu importe l’endroit du globe où ils sont émis, ils sont invisibles et forment une couche opaque qui bloque les rayonnements émis par la terre en les empêchant de retourner dans l’espace.
Ce qui a comme conséquence, le confinement de cette chaleur (rayonnement) près du sol occasionnant un dérèglement climatique planétaire avec une vulnérabilité variable d’une région à une autre. Entre 1850 et 2020, environ 2 450 Gt de CO₂ sont émis, or, si on veut respecter les accords de Paris en limitant le réchauffement à 1,5°C, il ne faudrait pas émettre plus de 300 Gt d’ici 2100. Ce qui semble intenables sauf si nous sommes prêts à revivre un Covid-19 chaque 5 ans pour limiter les émissions.
Globalement les humains agissent sur 3 gaz à effet de serre dont la durée de vie dans l’atmosphère varie entre 100 et 1000 ans. Parmi ce 3 gaz il y a :
Le CO₂ dont 85% des émissions proviennent des combustibles fossiles, 10% de la déforestation et 5% de la production du ciment. Le méthane (CH4) dont 23% s’échappent des rivières, 15% de l’exploitation du charbon, 32% de l’élevage, 12% des décharges, 10% de feux de forêt
Le protoxyde d’azote (N2O) qui provient essentiellement de l’épandage des engrais azotés de synthèse
Pour ce qui est des puits carbones actuels, il y’a : Les océans qui absorbent une partie du CO₂ atmosphérique quand il en existe moins dans l’eau et quand c’est le phénomène inverse, le CO₂ retourne dans l’atmosphère. Les forêts qui sont considérées comme des vrais réservoirs de carbone atmosphérique. Les sols forestiers qui absorbent une partie du CO₂ d’origine atmosphérique et en grande partie d’origine organique.
Selon le GIEC (Organisation Intergouvernemental chargé de l’évaluation du Climat), dans son dernier rapport paru en avril 2022, si les émissions continuent d’augmenter, les puits carbones seront de moins en moins efficaces. Et dans ce même rapport, les experts du GIEC ont fait des prédictions à partir des modèles mathématiques pour évaluer le climat à l’horizon 2100 selon 5 scénarii différents. Parmi ces scénarii, le plus optimiste montre un réchauffement global au-dessus de 1,5°C fixé par l’accord de Paris. Donc, il faut s’attendre à des phénomènes climatiques extrêmes, parfois combinés et de plus en plus accentués. Agir coûtera moins cher que l’inaction.
Comment les indices du changement climatique se manifeste-ils ?
Le tableau des indices est assez conséquent mais selon l’endroit où l’on vit sur la planète, nous observons plus ou moins les mêmes signes, par exemple la fonte des glaciers dans les régions polaires du globe, la sècheresse dans les pays tropicaux, les inondations, l’épuisement de la ressource en eau, l’achèssement des cours d’eau et les nappes phréatiques, la famine suite à la baisse des rendements agricoles, une pluviométrie irrégulière, les immigrés climatique, la migration des espèces, la perte de la biodiversité, la disparition de certaines espèces animales imputable à plusieurs facteurs (climat, artificialisation des sols, destruction des habitats naturels, pollution aquatique et marine, …), les incendies, la montée des eaux, les ouragans, l’érosion des côtes, etc.
Quelles sont les causes réelles de ce phénomène global ?
Les causes sont d’origines naturelle et anthropique. Avant tout naturelle, parce que c’est un phénomène qui a lieu depuis l’ère des temps et qui a permis de réchauffer la planète pour favoriser la vie sur terre. Nous devons notre existence sur terre grâce à ce phénomène de réchauffement naturel, sinon la température glaciale planétaire serait insupportable pour beaucoup d’êtres vivants. Ensuite, nous avons pour la grande majorité les causes anthropiques liées à l’activité humaine. Ces activités génèrent des émissions qui menacent notre existence et compromettent l’avenir des futures générations. Ce sont toutes ces activités qui permettent à l’humain de se déplacer, de se nourrir, de consommer, de s’habiller, de se loger, ce sont tous ces objets, toutes ces machines mobilisées quotidiennement, etc… qui existent, qui consomment de l’énergie et de la matière prélevées sur la planète.
Aujourd’hui les pays pollueurs ne font pas face à leur responsabilité ou du moins peu d’entre eux, comment peut-on expliquer cela?
C’est une évidence ! les pollueurs traditionnels sont ceux qui contribuent encore le moins dans la lutte contre les effets du changement climatique en plus d’être les moins vulnérables. D’où l’injustice climatique. Plusieurs raisons pourraient expliquer cette inaction climatique.
Premièrement, ces pays sont sous perfusion d’énergies fossiles (l’énergie la plus polluante) depuis la révolution industrielle pour leur développement.
Ils ont commencé par le charbon, puis le pétrole, ensuite le gaz, l’hydro-électricité, le nucléaire et les énergies renouvelables. Jusqu’à ce jour aucune énergie n’a pu être remplacée par une autre, c’est une addition de consommation énergétique pour maintenir leur niveau de développement et satisfaire des besoins croissants d’une société consumériste.
Par exemple, tous les conforts que nous avons connu grâce à la multiplication des services, l’automatisation, l’agriculture intensive, l’abondance des biens de consommation doivent leur existence aux énergies fossiles. Quand une énergie arrive à manquer c’est le système qui s’asphyxie, la fermeture des vannes du gaz russe pour les pays européens est un parfait exemple. Conséquences : manque d’engrais pour la production, problème de chauffage, …).
Deuxièmement, quand on examine les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle d’un pays ou à l’échelle mondiale sous l’angle de l’équation de Yoichi KAYA, qui est la suivante :
CO2 = population x (PIB/population) x (énergie/PIB) x (CO2/énergie).
On comprend que ce qui contribue le plus aux émissions de CO₂ c’est la « population » et le contenu en carbone des énergies consommées pour produire l’ensemble des biens et services à la disposition de cette population. Plus un pays a un PIB élevé plus il consomme de l’énergie et plus il consomme de l’énergie plus il offre des biens et services et plus sa population augmente, et plus ses émissions grimpent.
Troisièmement, les dirigeants de ces pays ne pensent qu’à leur réélection au lieu de s’attaquer aux défis climatiques. C’est pourquoi le paiement de la dette climatique envers les pays qui subissent les impacts du réchauffement climatique n’est pas assuré. Or, plus ces pays mettent du temps à payer leur dette climatique, plus le coût des impacts augmentent.
Toutefois, sous la pression d’une partie de sa société civile, certains pays arrivent à s’y atteler parfois sous la contrainte dans le seul but de nouer des alliances pour conquérir un nouvel électorat. D’autres vont encore plus loin dans leur démarche en légiférant, en mettant en place une stratégie, un plan, pour aller vers la neutralité carbone. C’est le cas pour la France, qui vise la neutralité carbone d’ici 2050. En fin, comme disait A. Einstein, « il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre ».
Nous sommes à quelques jours du début de la COP27 en Égypte, selon vous quelles sont les grandes questions auxquelles les décideurs doivent faire face ?
Je fais partis de ceux qui pensent qu’il ne faut surtout pas compter sur les COPs pour combattre un phénomène qui a déjà commencé depuis des années. Les COPs sont des moments de rencontre et des négociations entre gouvernements pour parler de notre avenir climatique pour la simple raison qu’aucun pays dans le monde ne peut prétendre défendre une quelconque frontière atmosphérique. Donc, nous sommes face à un problème global et il faut trouver des solutions de manière collégiale. Ce qui n’est pas une mince affaire parce que nous vivons les impacts du changement climatique de façon différente. D’ailleurs selon Greta Thumberg, les COPs sont devenues des « machines à Greenwashing ».
Pour les pays qui émettent le moins de gaz à effet de serre et qui sont les plus victimes du dérèglement climatique, l’enjeu est de financer l’adaptation au niveau local et de convaincre les grands émetteurs de CO₂ à réduire leurs émissions. Pour un grand pays pollueur comme la Chine (environ 27% des émissions à l’échelle globale), l’enjeu serait de convaincre que ses émissions sont dues au fait qu’elle est l’atelier du monde, ce qu’aucun pays ne peut nier, donc une bonne partie de ses émissions serait attribuable aux pays importateurs des produits chinois y compris les pays vulnérables. Voilà les genres de discussions qu’on pourrait avoir dans les négociations.
Il faut rappeler que le but des COPs est d’arriver à des consensus mais il ne faut pas se tromper car une COP réussie ne signifie pas une baisse des émissions pour la simple raison qu’il existe un gap entre les engagements prisent et les actions. Quant aux résultats, ils ne seront visibles que quelques années plus tard. A ce jour, parmi tous les pays du monde, seule la Gambie est conforme aux engagements de l’accord de Paris sur le climat dont l’objectif est de maintenir le réchauffement global de la planète à 1,5°C. Pour les autres États, les actions ont laissé la place aux promesses.
Quels rôles doivent jouer les pays subsahariens dans la lutte contre les effets du changement climatique ?
Le premier rôle selon moi c’est le leadership. Les pays subsahariens doivent jouer un rôle moteur contre les effets du changement climatique à cause de leur vulnérabilité. Mais pour cela, il faudrait qu’ils soient au cœur du dispositif de prise des décisions stratégiques afin d’inciter les pollueurs à baisser leurs émissions et à financer les coûts des pertes et dommage causés aux pays en développement.
De mon point de vue, pour gagner contre l’injustice climatique, les pays africains doivent former un seul bloc pour peser dans les négociations, or c’est tout sauf le cas en ce moment, chaque pays vient avec un discours semblable à son voisin, le même constat, les mêmes types de projets et demande la même chose (fond vert pour le climat).
Le second rôle consiste à accompagner les acteurs locaux et les porteurs de projets climat en leur apportant l’appui technique et financier pour impacter positivement les populations locales. Il relève de la responsabilité des États d’offrir à leur population un meilleur cadre de vie et peu importe leur milieu de vie.
C’est indispensable, au risque d’assister à une exode rurale massive qui aurait pour conséquence la saturation des villes et une accélération de la détérioration des conditions de vie (manque d’eau, d’électricité, problème de mobilité, l’accès à l’alimentation, aux soins, logement, etc…). A ce jour, de nombreuses villes africaines peinent à répondre efficacement aux problèmes démographiques. Négliger les effets du changement climatique dans les pays africains constituerait une menace pour la démocratie dans nos jeunes États.
Le troisième rôle consiste à l’élaboration d’un plan de suivi et réduction des impacts du dérèglement climatique à l’échelle nationale. Ce plan doit inclure tous les secteurs d’activités : agricoles, élevages, minières, transports, bâtiments, déchets, etc. avec des objectifs réalistes.
Quand on veut agir de façon efficace pour réduire les impacts et les maitriser dans la durée, il vaut mieux avoir un plan qui tient la route.
Enfin, actuellement l’Afrique connaît une nouvelle catégorie de population (les classes moyennes) qui n’existait pas avant, elles ont un pouvoir d’achat et un mode vie calqué sur le modèle occidental. Je voudrais dire par là que dans les années à venir nous connaitrons une hausse des consommations (en biens, en services, en alimentation, …). Quand cette consommation n’est pas liée à une production locale, c’est de la pollution importée. C’est-à-dire des gaz à effet de serre ont été émises quelque part pour produire cette consommation. Et jusqu’à ce jour, seule la sobriété et la pauvreté permettent de consommer moins et par le même effet polluer moins.
Niveau local, selon vous, quels sont les processus d’adaptation à mettre en œuvre pour réduire les effets du changement climatique ?
Dans le secteur de l’urbanisme et de l’habitat, il faut accélérer l’aménagement du territoire et contrôler l’urbanisation pour limiter l’artificialisation des sols.
Il faut également élaborer des normes qui encadrent la construction pour prévenir les inondations et tenir compte des futures évolutions caniculaires suite au dérèglement du climat qui ferait exploser l’usage de la climatisation et accroitre la consommation électrique. Il ne faut pas perdre de vue non plus, qu’il n’existe pas des filières adéquates de gestion de déchets, ni du bâtiment ni des équipements électriques et électroniques usagers, etc… Il faudrait créer des infrastructures pour traiter les déchets.
Dans le secteur du transport, il faut entretenir les infrastructures routières, et aménager des pistes cyclables pour limiter l’usage de la voiture et développer les transports en commun. C’est bon pour le climat et ça contribue à l’amélioration de la qualité de l’air et de la santé des populations. Dans le secteur maritime, il faut encadrer la pêche, renforcer la surveillance les aires marines protégées et lutter contre la pollution maritime.
Il faut protéger également les têtes de source des rivières et des fleuves par le reboisement, sans oublier les bras des cours d’eau. Ces mesures contribuent à la préservation des ressources en eau et de la faune terrestre.
Il faut définir un plan de reboisement national, réaliser des suivis dans la durée et entretenir les forêts. Il faut sécuriser l’accès des ressources en eau et garantir sa bonne répartition. Il faut également aménager des parcs publics pour permettre à la population dans les zones urbaines de prendre de l’air sans qu’ils soient obligé de prendre la voiture et partir à des kilomètres pour profiter de ce cadre de vie. En fin, pour éviter de rajouter de la pollution à la pollution et être pris dans le même piège que les pays pollueurs, les pays subsahariens doivent tabler leur croissance sur les énergies renouvelables (hydro-électricité, solaire, éolien)
Quels sont les projets ou initiatives locales à mettre en application pour limiter les impacts et permettre aux populations de s’adapter dans la durée ?
Le développement du secteur agricole doit être la priorité de tous les gouvernements du continent africain. Il faudrait diversifier les cultures et utiliser des semences plus résistantes à la sècheresse. Il faut avoir l’audace de viser l’autosuffisance alimentaire.
Il faut stopper l’érosion côtière pour permettre aux populations qui vivent près des côtes de continuer d’y vivre. A défaut, leur déplacement pourrait être un indicateur d’avancement du niveau de la mer. Il faut renforcer le système de santé dans les pays en développement, la hausse de température pourrait être une cause de mortalité qui viendrait s’ajouter à d’autres maladies comme le paludisme, la malnutrition, les infections tropicales, etc…
Il faut mettre en place des infrastructures météorologiques efficaces capables de collecter et de transmettre les bonnes informations afin de permettre aux autorités de prendre des décisions en mobilisant les ressources disponibles et anticiper les drames humains. Par exemple, une information fiable sur la pluviométrie permettrait de prévenir les inondations et d’anticiper le déplacement des populations notamment les plus fragiles ou d’alerter pour limiter les déplacements.
Je termine par les projets de production de charbon écologique en remplacement du charbon de bois qui contribue à la déforestation. Selon la FAO (Food and Agriculture Organization) il faut 5 tonnes de bois pour 1 tonne de charbon. Il faut éviter le charbon de bois. Il faut également accompagner et encourager les ménages à cuisiner avec de l’électricité ou du gaz quand les conditions le permettent.
La planète a besoin de nous tous, alors agissons ! Comme disait Saint-Exupéry « nous n’héritons de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants.
Interview réalisée par Aliou Diallo